Nanterre 2022 - The Arboretum de Nanterre La Défense. 126 000 m2 of coal base offices en bord de Seine, 15 min de l'Etoile.

« Les bureaux de demain seront des manifestes » Guillaume Poitrinal

« A l’heure du numérique et du télétravail, les bureaux de demain seront des manifestes ! C’est-à-dire une exposition vivante de l’entreprise, de son engagement environnemental, de son idée du travail ensemble. Les modes de coopération sont en train d’évoluer. La promotion, l’architecture et le design doivent se mettre au service de ces attentes » Voilà le type de convictions qui interpelle, elles sont nombreuses dans l’entretien qu’a conduit, cet été Alexis de Prevoisin, avec l’un de ses anciens employeurs, et qu’il est parvenu à interrompre entre deux trains, marches dans la nature.

Guillaume Poitrinal est un « serial entrepreneur », a été le plus jeune dirigeant du CAC40 (il fut le CEO de URW de 2005 à 2013), et surtout un homme libre, multi casquettes et engagé. Il n’a pas la langue de bois, pas plus que la langue dans sa poche. Entre deux trains, marches en nature dont il parait qu’elles le ressourcent, un autre expert du Retail et qui fût son collaborateur dans un épisode précédent de sa vie professionnelle, a confessé GP. GP comme Grand Paris où GP, Guillaume Poitrinal stationne souvent ces derniers temps. A Nanterre, l’un des projets qui mobilise beaucoup WO2 sera l’un des plus innovants des programmes de l’année 2023.

A travers ses activités de promoteur immobilier « new génération » avec la filière bois (Woodeum, WO2), d’aménageur de bureaux et centre commerciaux, d’investisseur (il est actionnaire réfèrent auprès des gares italiennes), membre fondateur de BBCA (Association pour le développement du bâtiment bas carbone), président de la Fondation du Patrimoine (qui sauve Notre Dame mais aussi de petites églises !), et s’est frotté aux politiques (auteur d’un rapport sur la simplification administrative)…il est avant tout une personnalité hors norme à la confluence de nos usages de vie (bureau, centres commerciaux), et d’une vision de la consommation, du bureau, du secteur immobilier.

 

Alexis de Prévoisin : Quelle est ton actualité ?

Guillaume Poitrinal : Je n’ai pas trop à me plaindre dans mes activités de promoteur immobilier bas carbone avec WO2-Woodeum : nous venons de louer un bel immeuble à GRDF pour son siège ! Le marché reste dans un moment d’attente de reprise de demande de bureaux. Il y a la remontée des taux, de l’inflation, de l’incertitude… Mais dans ces moments-là, c’est la différenciation du produit qui compte. C’est probablement pour cela que nous tirons notre épingle du jeu. En parallèle, je viens d’écrire un essai pour promouvoir une écologie d’action. Il faut abattre cette idée que l’entreprise c’est le monde de la pollution et du profit à tout prix. Au contraire, ce sont les entreprises qui vont bouger les lignes et conduire « la grande révolution du bas carbone », entraînant les consommateurs, les collaborateurs et même les politiques. Les entreprises qui refusent de s’engager sont condamnées. Les autres vont associer leur marque à un engagement bas carbone qui sera un signe de ralliement pour leur client, pour leurs salariés, pour leurs actionnaires ! Cette mutation nécessitera des investissements considérables qui vont porter la croissance économique. Cette hypothèse d’une croissance économique vertueuse me sépare radicalement des « décroissantistes », d’où mon titre « Pour en finir avec l’Apocalypse », que je reconnais volontiers provocateur et avec l’idée de rédemption qui est la définition des écritures de St Jean !

 

Quel est l’enjeu ? Que défends-tu ?

Nous vivons un réchauffement climatique sans précédent, et la seule manière de l’arrêter, c’est de diminuer violemment l’empreinte carbone de l’homme. Il faut changer d’échelle en terme d’actions. Le grand levier pour y arriver à l’échelle planétaire c’est la consommation. Si notre consommation évolue, nous pouvons influencer notre bilan carbone, mais aussi celui des grands pays exportateurs pollueurs qui sont aujourd’hui les plus grands émetteurs. L’idéal, c’est la compacité. Moins de consommation en volume, des caddies moins remplis, moins de gâchis. Mais plus de valeur environnementale dans chaque produit. A l’image de l’industrie du luxe, qui a su ajouter une valeur au- delà de l’utilité, de nouveaux concepts vont s’imposer qui s’appuieront sur la valeur environnementale des produits. Ce ne sera plus une consommation de volume, ni de luxe, mais de concepts qui mixent haute technologie, écologie et bas carbone. L’exemple aujourd’hui c’est Tesla : un manifeste d’écologie avec de la technologie et de l’expérience client. Un succès économique aussi, avec une capitalisation de presque 1000 milliards de dollars. La transition vers le bas carbone, ce n’est pas nécessairement la misère promise par les apôtres de la décroissance. Elle peut se faire à chiffre d’affaires croissant et à marge élevée. Tesla vend ses voitures deux fois plus chères que ses concurrents, et on se les arrache. A une autre échelle, le groupe WO2 a une démarche similaire. Nous construisons des immeubles ultra bas carbone, avec des méthodes révolutionnaires. Nous proposons de nouvelles expériences de vie aussi. Ça fonctionne. Mais contrairement à Tesla, nos prix (et nos marges) ne sont pas plus élevés que nos concurrents, et cela nous va très bien.

 

Concrètement que proposes-tu ?

Pour tous les produits et les services que nous consommons, je souhaite un thermomètre ou un baromètre de l’empreinte carbone, à côté et à même échelle que l’étiquette prix ! Il est urgent de le faire simplement, sans fatras administratif. C’est ce que je propose dans ce livre : noter l’empreinte carbone de nos produits, de nos magasins, de nos immeubles en traçant cela du début à la fin du cycle de vie du produit pour donner l’information aux clients et utilisateurs qui choisiront pour sauver la planète. C’est ma vision et celle que je donne dans le livre. C’est d’ailleurs ce que nous avons réalisé sur le secteur de la promotion immobilière avec l’association BBCA (Bâtiment Bas Carbone ». Le label BBCA qui est en train de s’imposer n’est rien d’autre qu’un étiquetage carbone de l’immeuble sur son cycle de vie : construction, exploitation et fin de vie. Comme chef d’entreprise, avec mon associé Philippe Zivkovic, nous proposons des produits qui correspondent à nos convictions : de la promotion immobilière bas carbone, c’est ce que nous faisons avec Woodeum dans le résidentiel, WO2 dans les bureaux, les hôtels et demain dans les commerces ! Il y a beaucoup à inventer, y compris en architecture commerciale à bas carbone !

 

Et l’expérience dans tout cela ?

Elle est au cœur de ma manière de travailler. J’ai travaillé sur les centres commerciaux (et dans les bureaux aussi), et j’ai beaucoup appris du parcours client. Il faut ouvrir l’architecture qui est souvent trop « introvertie » et l’ouvrir d’urgence à la nature, à la ville. Pour les structures et le design, utilisons le bois et le bio-sourcé et laissons-les visibles. Végétalisons nos espaces. Rendons de la liberté à leur usage. Il faut du commerce d’expérience, de liberté, avec un nouveau rapport à l’extérieur… Les investisseurs de commerce ont moins de moyens qu’autrefois, mais pour faire mieux que survivre, il va falloir révolutionner l’expérience environnementale du lieu. Développer une vraie distribution bas carbone, choisir de nouvelles enseignes et accompagner les anciennes dans leur métamorphose. Le commerce qui va gagner, c’est celui de l’écologie et du polysensoriel. L’écologie dedans, partout, qui se mesure et se voit. Ce commerce sera épris de liberté et de nature pour ses clients. Et de sincérité produit. Bas carbone, écologie et nature, sincérité produit, et liberté : ce sont les 4 choses qui vont compter demain !

 

Tu as une carrière immobilière, comment voies-tu l’expérience client, l’expérience collaborateur précisément : tu parles Collabo’acteurs et valeurs environnementales ajoutées ? Peux-tu développer ?

Je vais prendre un exemple : nous venons de livrer le siège de GRDF, 30.000m2 de bureaux à St Denis et nous avons 200.000m 2 en chantier ! Nous construisons des bureaux où pour chaque siège à l’intérieur, nous aménageons un lieu de travail en terrasse ou dans le parc. C’est une révolution ! Il y a – en sortie de crise – une accélération des tendances de mixité : bureau-hôtel, hôtel-bureau. A l’Arboretum [projet de bureaux et services bas carbone à Nanterre Université, campus développé par WO2, largement construit en bois massif CLT, dans un parc de 9 ha, espace de travail en lien avec la nature], le niveau de service est tel qu’on ne sait plus si il s’agit de bureaux ou d’hôtellerie. Nous proposons 7 concepts de restaurants différents, 2600m2 (c’est la taille de 3 immeubles haussmanniens) dédiés au sport, un grand centre de conférence « la fabrique de la connaissance », et puis surtout un amphithéâtre de plein air, un verger et un jardin potager ! A l’heure du numérique et du télétravail, les bureaux de demain seront des manifestes ! C’est-à-dire une exposition vivante de l’entreprise, de son engagement environnemental, de son idée du travail ensemble. Les modes de coopération sont en train d’évoluer. La promotion, l’architecture et le design doivent se mettre au service de ces attentes

 

Quelle est la place du Télétravail selon toi ?

Les gens qui ont du talent souhaitent plus de liberté : sans renoncer au bureau, ils veulent pouvoir travailler à distance, quand ils veulent. Donc le télétravail va trouver sa place. Mais comme rien ne remplace le contact physique, polysensoriel, spontané, l’espace de travail physique va demeurer. L’émulation, le sens de l’équipe et la co-créativité fonctionnent mal avec le télétravail. Pour que vive l’entreprise, il ne faut pas que des écrans, il faut aussi des lieux. Mais pas les mêmes. Il ne s’agit plus d’aligner les postes comme les sardines dans une boîte de conserve à la manière de ce que j’ai pu faire à Cœur Défense quand j’étais jeune. Tout d’abord le bureau doit devenir désirable, pour donner envie de venir. Ensuite, ce doit être le lieu du bien-être et du bien-vivre ensemble. La nature, le positionnement authentiquement écologique, le sport, la restauration, les volumes, l’acoustique,…Tout va compter, y compris le matériau de construction. Ce n’est pas facile à expliquer. Pour comprendre, il faut visiter les derniers concepts de WO2. Quelle est ta vision pour ton entreprise, pour tes clients ? Notre ambition avec Philippe Zivkovic, c’était de créer le premier promoteur immobilier exclusivement et totalement bas carbone. Pour ce faire, nous avons commencé par calculer, avec Carbone 4, l’empreinte carbone du bâtiment sur son cycle de vie. A notre grande surprise, nous avons réalisé que le grand sujet, 60% des émissions était liés à la phase de construction. En remplaçant une grande partie du béton très émetteur, par des voiles de bois massif contre-croisé, nous avons réussi à diviser par deux les émissions de CO2 sur le cycle de vie des bâtiments. Le bois, c’est renouvelable, isolant et surtout piège à carbone. Ce bois, laissé visible, offre de surcroît une expérience visuelle, olfactive, un sentiment de bien-être… C’est agréable à voir, à sentir, à toucher. Cette démarche, qui peut paraître assez simple, nous a obligé à recalculer et à revoir tous les procédés de construction. Nos immeubles qui font jusqu’à 17 étages sont beaucoup plus précisément conçus et construits. Plus d’études, moins de déchets, des chantiers deux fois plus rapides, silencieux. Si j’en crois la satisfaction des clients, je pense que nous avons acquis une réelle avance technologique sur le segment innovant de la promotion immobilière bas carbone.

 

Guillaume, revenons à ta carrière de plus jeune patron du CAC 40 : livres-nous ton feed-back de grand patron ? Si tu revenais aux manettes d’un grand groupe ; quels seraient tes conseils à ceux qui dirigent des entreprises ?

J’ai adoré mes 18 ans chez Unibail-Rodamco. Dans le même temps, je n’ai aucune frustration à ne plus diriger une multinationale. Je suis même heureux de travailler avec des jeunes, en petites équipes, sans bureaucratie [Guillaume a écrit « Plus vite, la France malade de son temps »]. J’y trouve davantage de liberté et d’agilité. Évidemment, si j’étais dirigeant d’une grande entreprise, je ferais tout pour passer au mode « bas carbone » le plus vite possible. Émettre directement du CO2, ou transformer des produits émetteurs de CO2, va inévitablement coûter de plus en plus cher, avant d’être disqualifié par les consommateurs, puis finalement totalement proscrit par les Etats. Il y a donc d’abord une question morale, mais aussi économique et enfin de survie de l’entreprise. Le piège pour les grands patrons aujourd’hui, c’est qu’ils sont submergés par une quantité d’impératifs dans ce qu’on appelle la RSE. Dans la RSE, tout est mélangé. Il n’y a pas de hiérarchie. Parité homme-femme, recyclage des ordures, stress au travail, biodiversité, insertion, inclusion, …On en rajoute chaque année. Et les rapports RSE commencent à ressembler à des annuaires. Evidemment, chaque impératif a du sens, mais je dénonce la dilution de l’effort. Il faut imposer une hiérarchie, avec la question du climat au-dessus des autres enjeux, car c’est une question de survie. La question climatique, c’est celle des émissions des gaz à effet de serre. Certains responsables RSE que je croise sont des contrôleurs de gestion du développement durable qui veulent cocher un maximum de cases… alors qu’ils ne connaissent même pas l’empreinte carbone de leur entreprise. Cela doit changer.

 

Quelle est la place du silence dans tes activités ? Et quelles sont tes inspirations ou ressourcements ?

D’abord, je vois beaucoup de gens : je m’inspire par les rencontres, et puis la lecture aussi… Enfin, j’aime marcher dans la nature en randonnée avec mon épouse Sophie, une brillante entrepreneuse. Le GR10 des Pyrénées, le Chemins de Stevenson des Cévennes, c’est plus impressionnant que les parcs américains. C’est l’occasion d’une rencontre avec soi, d’entrer en résonance avec la nature, le monde. Le plaisir d’exister et de penser aussi. Je reconnais que je me sens bien au milieu des arbres. J’aime parcourir les forêts. «Baudelaire. Le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté ». Je te livre cette citation : que t’inspire-t-elle ? Petit garçon, j’étais « fanatique » des Lego. J’inventais des vaisseaux, des constructions en tout genre ! Je crois que j’aime profondément l’architecture pour avoir travaillé dans l’immobilier… et faire de grands Lego ! Je suis fasciné par le travail des architectes, des designers comme Olivier Saguez ou Hubert de Malherbes, celui des commerçants comme François Lemarchand. Je suis fan de nos grandes signatures d’architecture comme Jean Nouvel, le star-chitecte, Valode et Pistre le tandem discret, Jean-Michel Wilmotte, la modernité au service du patrimoine, Jacques Ferrier, l’architecture humaniste, le polytechnicien JM Duthilleul, l’urbaniste, Francois Leclerc, Nicolas Laisné, Martin Herbert, WOA ou Hardel Lebihan…Pardon de ne pas tous les citer. Beaucoup sont devenus des amis. Aujourd’hui je travaille avec eux sur le bas carbone ! Passionnant

 

Notre rubrique s’appelle Pizzini, en lien avec ce mafieux qui dirigea le plus grand réseau avec des petites boulettes de papier …. Un commentaire sur ce que t’inspire cette organisation à l’heure du numérique ou une adresse secrète pour nos lecteurs ?

Drôle cette référence ! J’ai instauré une culture de la réponse rapide dans les entreprises dans lesquelles j’ai été dirigeant. La lenteur coûte en fait très cher ! Bref, un message et une réponse rapide sont mon credo. Pas d’adresse, je vous recommande d’aller marcher en forêt !

 

Enfin un message pour la génération future ? Je te connais optimiste mais factuel et surtout pour te battre contre les fausses réalités.

Oui j’appelle de mes vœux qu’ils prennent le sujet et bougent les lignes de l’environnement. Nous n’avons pas d’autre choix que l’optimisme aussi. Nous sommes face au pari de Pascal : « le paradis existe… je ne sais pas. Mais si je n’y crois pas, je n’irai pas au paradis. Bref, oui il faut croire à cette révolution verte, technologique et positive sinon elle n’existera jamais ». Il faut être mobilisé, conscient – c’est le cas des GenZ – et avec l’entreprise comme levier. Enfin je ne fais pas de politique mais je salue une première ministre polytechnicienne (il faut des scientifiques dans ce Momentum) et une femme avec cette force de travail sans ego, et je crois au monde féminin demain. Conscience, pragmatisme, et recherche de solution sont l’empreinte du féminin …et de l’écologie de l’action.

 

Interview effectuée par Alexis de Prévoisin, consultant Retail et auteur du livre « Retail Émotions, retail in motion » début Juillet 2022

Photo de une : Guillaume Poitrinal – crédit © Simone-Perolari