Les assurances de la SFAM et de Sadri Fegaier, l’enquête « légitime » et documentée de Paris Match
Si vous êtes journaliste et grand reporter, la SFAM et Sadri Fegaier vous remboursent. Sinon, non. Quand vous êtes journaliste et enquêtez sur la SFAM, devenue Indexia, Philippe Moreau-Chevrolet, grand communicant, tente d’enterrer le reportage en joignant votre rédaction en chef. Voilà deux des enseignements stupéfiants de l’enquête menée par François de Labarre, grand reporter à Paris Match, et qui détaille dans le n°3817 de l’hebdomadaire détenu par Lagardère, la façon dont le cavalier de la Drôme a monté un empire, avec quelques boutiques SFR, la « bénédiction » ou la complaisance (?) de quantité d’intermédiaires : la Fnac en son temps, et de très prestigieux fonds d’investissements.
Le contexte
Les pratiques douteuses des entreprises de Sadri Fegaier sont documentées de longue date sur le site d’En-Contact, depuis cinq ans : la SFAM, fondée en 1999, avait connu une croissance fulgurante en inventant l’assurance affinitaire, des téléphones mobiles en particulier. L’entreprise faisait dans le même temps l’objet de multiples plaintes qui lui ont valu en 2019 une sanction administrative de dix millions d’euros de la part de la DGCCRF et du parquet de Paris, la plus lourde du genre jamais déclenchée. Si le groupe s’est rebaptisé Indexia, de nombreux témoignages recueillis depuis pointaient des méthodes qui n’avaient pas changé.
Paris Match et François De Labarre reviennent dans une longue enquête sur les zones d’ombre entourant l’ascension du jeune milliardaire français originaire de la région de Valence : contrats d’assurance présentés à la sauvette, falsifications de signature, prélèvements indus, etc.
Quelques extraits de l’enquête :
Des clients se voient prélever des sommes sur leur compte bancaire sans comprendre pourquoi
« La spirale infernale a commencé le 3 juin 2017. Ce jour-là, à Montauban, l’infirmière pousse la porte d’une boutique SFR pour s’offrir un téléphone à 72 euros. Le vendeur lui fait signer des documents sur une tablette, pour payer en plusieurs fois. Dans le lot, elle signe aussi un contrat d’assurance avec la SFAM. Quelques jours plus tard, Christine reçoit l’échéancier sur sa boîte mail, mais les messages de cette société atterrissent dans les « courriers indésirables ». D’autres, plus tard, lui proposeront de nouvelles options, de plus en plus chères. Ses « non-réponses » seront considérées comme des validations. Au total, elle sera donc prélevée 356 fois pour un montant total de 9600 euros… « J’ai cru devenir folle », dit-elle.
Pourquoi le grand reporter de Paris Match a-t-il déclenché son enquête ?
« Si la question me taraude, c’est que moi-même je me suis fait avoir. Le mois dernier, j’ai découvert que la même société m’avait prélevé sept fois par mois sous des intitulés différents. La technique semble bien rodée : échéances irrégulières, libellés aux noms très génériques. Les prélèvements se fondent dans la masse des assurances et des cotisations. En remontant le fil, il apparaît que toutes les dépenses sont liées à un seul contrat d’assurance que j’aurais signé au moment de l’acquisition d’un appareil photo à la Fnac, en 2018. Apprenant ma qualité de journaliste, le groupe Indexia – le nouveau nom de la SFAM – me rembourse rapidement d’un montant équivalent à 90% des sommes prélevées. »
Aurait-il bénéficié d’appuis ou de négligences ?
« Malgré les drôles de méthodes de la SFAM, Sadri Fegaier a tracé son sillon dans le gotha de la finance parisienne. Comme Bernard Tapie, il a du charisme et de la vista. En 2016, un fonds géré par Edmond de Rothschild Investment Partners est entré au capital de sa société. Un an plus tard, une armada de financiers et d’avocats parisiens planche sur ses comptes dans le cadre d’une levée de fonds. L’un d’eux raconte : « À l’époque, sur les 100000 contrats mensuels, on constatait une perte de près de 60% dans les trois premiers mois. Il était évident que c’était un modèle prédateur, avec des ventes quasi forcées. »
[…]
« Mais, à notre connaissance, ce chiffre n’a jamais « circulé » ; il nous a été confié par un professionnel de la finance, missionné sur le dossier en 2018. Alors, personne ne veut bousculer un Sadri Fegaier de plus en plus puissant, dont le chiffre d’affaires a grimpé de 2500% en cinq ans ! Le fonds Ardian, leader mondial de l’investissement privé, s’invite au capital de la société, valorisée 1,7 milliard d’euros. Dans le communiqué de presse du fonds, le directeur général, Yann Bak, vante «la qualité de services » de la SFAM. Six mois plus tard, un autre investisseur prestigieux suit : FEF (Franco-Emirati Fund), un fonds constitué par la Caisse des dépôts et consignations, le bras armé de l’État français dans la finance, et par Mubadala, le fonds souverain de l’émirat d’Abu Dhabi ! »
La fuite en avant ?
« Ces derniers temps, la Porsche de Sadri Fegaier, immatriculée à Monaco, traverse rarement le centre-ville. Il ne s’éloignerait pas de son garde du corps. Il a aussi gagné une réputation de mauvais payeur. À cause de ses dettes, les courses hippiques qu’il devait organiser cet été à Saint-Tropez et à Valence ont été annulées puis reprogrammées, nous fait savoir la Fédération française d’équitation, car il s’est, depuis, acquitté de son dû. En juillet 2021, le milliardaire a mis son haras en cessation de paiement. Une procédure de redressement judiciaire a été entamée, qui a pris fin en décembre. Selon une indiscrétion, le spot publicitaire pour l’enseigne Hubside diffusé cet hiver n’a pas été réglé. Une facture impayée depuis janvier… »
On notera la qualité des enquêtes au long cours menées par les journalistes de Paris Match, ces derniers mois, et outre celle-ci, celle qui a conduit Loïc Grasset (n°3815) à Liverpool pour recueillir les témoignages des supporters après les incidents ayant perturbé la finale de la Ligue des Champions à Paris au stade de France ou encore un long papier coécrit par Arnaud Bizot et François de Labarre consacré à Jacques Bouthier et ses exactions à Tanger chez Assu 2000 (n°3813). Souvent, comme le grand reporter l’explique, des communicants ou des agences d’influence tentent de tuer dans l’œuf ces enquêtes en mettant le doute sur votre rigueur ou déontologie, ce qu’aurait tenté de faire Philippe Moreau-Chevrolet, le spécialiste de la communication dont le fondateur d’Indexia s’est attaché les services.