L’affaire Monique Case n’est pas vraiment une erreur judiciaire mais un fait divers qui emmène une femme et un homme en prison

 » Dans les affaires de justice, et notamment d’erreur judiciaire, le poids de l’opinion et des normes sociales est certes considérable mais l’intervention des individus peut être décisive « 

Que peut nous dire et apporter comme éclairages, sur les erreurs judiciaires ou les faits divers qui se transforment parfois en erreur judiciaire, un historien qui aurait travaillé longtemps sur le sujet ? C’est avec bonheur et gourmandise qu’on a reçu un soir, signe qu’il avait accepté de s’y coller, le témoignage écrit d’un professeur érudit et rigoureux, que sa contribution à la revue Atala nous avait fait découvrir. Nous sommes heureux que sa contribution achève ce livre. Jean-François Tanguy, ancien élève du lycée Chateaubriand, agrégé d’histoire, a été maître de conférences d’histoire contemporaine à l’université Rennes 2 ; il en a dirigé le département d’histoire à partir de 1999. Il a soutenu en 1986 une thèse de doctorat intitulée Le Maintien de l’ordre public en Ille-et-Vilaine de 1871 à 1914. 

Vous avez travaillé et écrit sur les erreurs judiciaires, notamment dans la revue Atala, pour quelles raisons ? Que vous ont appris ces travaux et qui soit différent de vos autres sujets de recherche ? 

Jean-François Tanguy : Mon champ de recherche englobe, notamment, l’étude des régulations sociales, ou, de manière plus spécifique, la façon dont elles sont à la charge des groupes et corps qui y sont plus spécifiquement attachés, c’est-à-dire principalement la police, la justice, une partie de l’administration, voire un certain nombre de délégués du pouvoir central ou d’élus (en fonction du type de régime politique) tels par exemple les maires. Outre ma thèse, j’y ai consacré de très nombreux articles publiés dans des revues ou ouvrages collectifs. J’ai aussi publié un ouvrage éditant la correspondance annotée et commentée d’un magistrat du Second Empire, par certains côtés banal et donc représentatif, par d’autres atypique (il était républicain – modéré, et ne s’en cachait pas), Jules Lelorrain (Ton père et ami dévoué. Lettres de Jules Lelorrain, magistrat, à son fils Édouard, médecin militaire. Janvier 1867-septembre 1871, édition établie, présentée et annotée par Jean-François Tanguy, Rennes, PUR, 2013, 504 p.). J’ai travaillé également sur des erreurs judiciaires concrètes comme l’affaire Louarn et Baffet, deux paysans bretons accusés de tentative de meurtre, morts au bagne et réhabilités après leur décès de manière relativement rapide à l’aune des habitudes de la justice française (quelques années !). Je me suis intéressé également, mais de façon très oblique en regard du point central, l’erreur judiciaire, à certains aspects de l’affaire Dreyfus. 

Peu de femmes ont été victimes d’erreurs judiciaires et/mais vous vous êtes intéressé par exemple à Rosalie Doise, présumée coupable d’un parricide. Comment l’historien  peut-il participer à une forme de réhabilitation en racontant les faits, parfois bien longtemps après ? 

Je ne suis pas sûr que l’historien ait une vocation quelconque à « réhabiliter » qui que ce soit. Il n’est ni un prêtre, ni un juge, ni un donneur de leçons de morale. Il est là pour tenter de saisir au plus près, ce qu’il ne parviendra jamais à faire complètement, une réalité, tenter des explications, saisir un contexte, ou si l’on veut, pour employer une formule grandiloquente, pour faire revivre le passé. Les soldats sont-ils partis à la guerre en 1914 volontairement ou sous la contrainte ? La Shoah a-t-elle été planifiée par les nazis depuis le départ ou est-elle l’aboutissement de circonstances qui se sont enchaînées de façon tragique et irrésistible (célèbre débat entre « intentionnalistes » et « fonctionnalistes ») ? Les régimes « totalitaires » sont-ils semblables les uns aux autres ou foncièrement hétérogènes ? Pourquoi et comment a éclaté la révolution de 1789 ? Mais il ne s’agit en aucun cas de « réhabiliter » Néron, les Templiers, Charles Ier d’Angleterre, Louis XVI, Robespierre, Viollet-le-Duc ou Pétain. Dans le cas des condamnés injustement ou des victimes d’autres types d’erreurs judiciaires, l’histoire a pour but de montrer comment le contexte de l’époque, les préjugés, les insuffisances individuelles, la malveillance, ont abouti à telle ou telle décision et comment certains hommes (ou femmes) ont parfois pu se battre pour inverser le cours des choses : Voltaire et Calas, Zola et Dreyfus, l’honnête juge d’instruction et Monique Case. 

L’affaire Monique Case intervient dans les années 60, dans le Berry, et concerne une femme de commerçant. Elle sera sauvée en fait grâce au travail rigoureux d’une femme juge. Qu’est ce que cela vous inspire ? 

Je ne sais trop si on doit en tirer des conclusions à valeur universelle, sinon, outre que l’intervention d’une femme juge d’instruction est pour l’époque exceptionnelle, mais bien sûr plus aujourd’hui, que dans les affaires de justice, et notamment d’erreur judiciaire, le poids de l’opinion et des normes sociales est certes considérable (Dreyfus est coupable, pensaient 90% des Français en 1894, la gauche socialiste comprise), mais aussi que l’intervention des individus peut être décisive puisque toute décision judiciaire est une affaire d’individus, l’affaire de personnes de chair et d’os, avec leurs connaissances certes, leur « science » mais aussi leurs idées, leurs passions, leurs qualités et leurs insuffisances. Est-ce que le jour où la justice sera rendue par des algorithmes ou par l’intelligence artificielle, elle sera meilleure, y gagnera vraiment ? Ce n’est pas certain. 

Propos recueillis par Manuel Jacquinet. 

Si vous vous intéressez aux « erreurs judiciaires » et notamment à la seule qui ait concerné une femme en France depuis les années 60, lisez L’affaire du Bois Bleu, les innocents de la Guerche aux éditions Malpaso RCM. Le texte ci-dessus en est extrait.