Je m’appelle Frank Colin, j’ai organisé Air Cocaïne

Frank Colin : c’est en prison que j’ai appris à vivre en société.

Le 24 Mars, deux jours après la diffusion sur Canal + du 1er épisode de la série Air Cocaïne, sortira le livre co-écrit par Frank Colin et Manuel Jacquinet, également éditeur de l’ouvrage. Ce dernier explique pourquoi il a eu envie de raconter l’histoire du gars de la Seyne-sur-Mer. Qui affrètera un jour le Falcon 50 qui va le rendre célèbre.

Manuel Jacquinet : « Il y a une mode à raconter les histoires des bandits, des voyous de la taxe carbone, les détrousseurs par téléphone etc. Ce qui m’a intéressé moi, c’est ce qu’on dit et ce à quoi on pense quand on est en prison ou qu’on en sort. Ce qui fait qu’un jour, en face d’une opportunité qui vous est proposée, vous ne faites pas le bon choix. Frank Colin a écrit des choses très sincères et singulières, durant ses sept années de détention. Notre accord moral était que le livre parlerait moins de l’Affaire Air Cocaïne que de l’avant et de l’après. Nous sommes tous définis en partie par les endroits et les milieux d’où on vient, encore plus ensuite par notre capacité à tirer profit ou des enseignements de ce qu’on vit, dans les bons ou les mauvais passages. C’est pour cette raison que dans le prologue du livre, on trouve les quelques vers célèbres de Paul Verlaine. « Le ciel est par-dessus le toit .. »

Extraits exclusifs du livre.

Pages 118 – 119

C’est en prison que j’ai appris à vivre en société. Une société de criminels, certes, mais pas si différente des autres puisque la majorité des détenus avait une vie avant d’être enfermée derrière les barreaux. Beaucoup travaillaient et allaient chercher leur pain à la boulangerie en y croisant certains d’entre vous, à qui vous disiez bonjour, sans savoir qu’un jour vous ne les reverriez plus. La pharmacienne sourit à celui qui, sans le savoir encore, tuera sa femme un jour lors d’un crime passionnel ou bien violera sa voisine parce qu’elle passait par là au mauvais moment, et malgré les années d’échanges cordiaux qui ont précédé. Oui, ceux-là avaient une vie des plus normales. Puis l’erreur est arrivée, comme elle pourrait arriver à chacun d’entre vous. Ne vous croyez pas à l’abri. Le monde d’aujourd’hui est largement moins indulgent qu’il y a vingt, trente ans, et il vous faut en remercier les réseaux sociaux qui vous affichent en permanence. Aujourd’hui, la majeure partie des citoyens pense que son avis compte ; même pour le moindre détail, ils se doivent de partager leur opinion. Je ne parle même pas de ceux qui ne font rien de leur vie : ce sont eux qui passent le plus clair de leur temps à débiter des conneries.

Comme je n’ai jamais eu à me conformer à aucune des règles de cette société qui me fait vomir, rien qu’en parler me fait un nœud dans l’estomac. Petit déjà, je faisais ce que je voulais, rien ne m’empêchait d’aller et venir à ma guise. Mes parents, surtout ma mère, devenait folle parfois. Elle a tout essayé mais rien à faire. Il y a beaucoup de choses que je respectais pour rester dans certains rangs, mais je repoussais en moi-même ces obligations en me construisant les passeports nécessaires pour ne plus avoir à me conformer à cette société. Dans mon esprit, ça a toujours été très clair, je vivrais et ferais comme je le désire et à ma guise, sans rien demander à personne. Et je suis devenu qui j’ai voulu et dans le bon timing. Oh oui ! La liberté, je l’ai bien connue. J’en ai profité à un tel point que je souhaite vraiment du fond du cœur à chacun de vivre avec la même intensité, et plus si possible.

J’ai revu des années plus tard des copains d’enfance du quartier qui me racontaient leurs vies avec une telle fierté qu’on aurait pu croire qu’ils avaient atteint les plus hauts sommets. En fait, ils avaient un CDI à la mairie, étaient mariés avec des enfants, une Harley Davidson d’occasion et une Renault haut de gamme, des weekends faits de pêches et, de temps en temps en été, une sortie en famille dans le golfe de Saint-Tropez avec pour seule dépense une glace à l’italienne sur le port, des selfies occupées par leurs têtes devant des yachts de petite envergure, portant l’inscription « Georgetown ». Quand ils m’ont demandé ce que j’avais bien pu faire durant toutes ces années, je n’ai plus su quoi leur répondre.

Leur aurais-je répondu que les bateaux qu’ils me montraient étaient bien plus petits que ceux sur lesquels je passais mes journées, dormais, mangeais et plongeais du quatrième pont, l’auraient-ils compris ou cru ? Auraient-ils su m’imaginer dans une Rolls Royce Phantom, en Lamborghini, en SLR Mercedes, en Pagani Zonda, et en short torse nu sur la route des plages pour aller manger au club 55 ou au Nikki Beach ? Sortant du port en Offshore Cigarette, 700 chevaux dans le moteur tonitruant, pour aller faire des sauts de plusieurs secondes dans les airs avec des photographes en hélicoptère s’approchant le plus possible pour faire la photo parfaite ? Comment aurais-je pu expliquer à mes copains que chaque jour je devais avoir sur moi cent mille euros en cash, dans une sacoche en bandoulière, pour les faux frais de mon client et que, par ailleurs, je pouvais acheter ce que je voulais pour ma pomme parce que cela faisait partie de mon contrat ? A l’évidence, je ne pouvais pas raconter le tiers du quart de ce que je vivais chaque jour. Ils avaient l’air très heureux et pensaient avoir concrétisé le summum de leurs attentes, et je me devais de respecter cela.

Tout ceci n’est que le pur produit d’une société qui n’a jamais évolué parce que la peur de mieux faire résonne. Mieux vaut un monde connu et difficile plutôt qu’un monde meilleur, sans direction visible.

Pour être honnête je me fous totalement de ce que les gens pensent de moi. A mon âge, la vie est bien plus derrière que devant moi, et, comme j’ai décidé de me remettre au niveau de la classe moyenne, afin de regarder et admirer mon fils grandir, je n’ai donc plus d’intérêt à cacher ma vie antérieure. Je souhaite à mon fils de vivre d’aussi belles choses que moi. Pour lui, je ne désire que le meilleur sans les inconvénients. C’est là où il me faudra avoir la tête bien sur les épaules afin d’être suffisamment lucide au moment où je devrai dire non. Les échecs sont inévitables, c’est une évidence, et il faut en passer par là inéluctablement. Chaque fois que nous échouons, c’est un pas de plus vers la réussite. Et l’irresponsabilité m’a fait découvrir des sommets que je ne saurais expliquer.

Je m’appelle Frank Colin, j’ai organisé Air Cocaïne. Edité chez Malpaso-RCM. Sortie le 24 Mars.

Lisez la préface du livre ici.

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