Mike Lester, le guitariste génial qui a joué avec Gérard Manset et Rory Gallagher

« Mike Lester m’a fait découvrir Bob Seger et le karaté. Et le hard rock. Et le hard rock est l’une des plus grandes écoles musicales qui soient » Gérard Manset.

 

Il est devenu prof de golf, il continue de jouer de la guitare rock et rythmique, de commettre des albums de rock pur. Mais pourquoi donc n’a-t-il jamais connu la gloire ? Interview exclusive et un peu désordonnée de Mauro Bazzani, alias Mike Lester

 

Vous avez accompagné des groupes mythiques, anglais ou français, joué au Marquis Club. Mike, partagez-nous quelques souvenirs, même si ça vient en désordre.

Mike Lester : « Le Marquis Club à Londres était le club le plus huppé de l’époque. Tout le monde se rendait dans cet endroit si petit. J’étais alors chez RCA et je bossais avec Gérard Manset. Il a produit 2 de mes albums, un que j’ai enregistré au Marquis à Londres, et l’autre à Paris. Il travaillait chez EMI, qui lui avait accordé le budget, ce qui m’a permis d’embaucher les musiciens que je souhaitais. J’avais à mes côtés le batteur d’Eric Clapton et quelques musiciens de Gerry Rafferty, tous d’excellents artistes. Lorsque nous étions en studio, nous logions au Piccadilly Hotel, un endroit magnifique. Un jour, alors que j’étais en bas des Champs-Elysées chez RCA, j’apprends l’arrivée de Rory Gallagher en Europe. On lui envoie immédiatement notre album, avec en tête le rêve de faire sa première partie. En recevant notre album, il découvre le texte à l’intérieur et en est particulièrement touché. Trois jours avant son arrivée, son manager -qui est aussi son frère- nous répond qu’ils ont choisi notre groupe. Vous imaginez notre bonheur. Après une première semaine à jouer à l’Olympia, seules quelques dates étaient prévues, Gallagher nous annonce qu’il souhaite faire toute sa tournée en France avec nous. Avec Rory Gallagher nous commencions quelque chose d’important. Une semaine, on remplissait 2 Olympia, celle d’après nous allions faire un tabac à Marseille. Excepté Lyon, qui avait déjà un groupe, nous avons fait toutes ces grosses villes de France, puis Rory m’a proposé une grosse tournée en Allemagne. Il nous payait nos hôtels et 3 000 balles chaque soir parce que RCA nous avait coupé les vivres. Ils ont mis 500 albums à vendre en Allemagne, à Hambourg, et nous ont appris qu’ils s’étaient vendus en une semaine, mais qu’ils ne voulaient plus de nous. RCA s’en foutait.
Ronald voulait nous emmener en Angleterre, en Irlande et aux États-Unis mais RCA ne suivait plus. Je me suis rendu dans leur bureau et leur ai jeté mon contrat à la gueule avant d’aller signer chez EMI. Dans ce métier, il faut avoir des mecs méchants qui sont prêts à vendre leur « cul », et des chiens derrière vous.
Nous les musiciens, en tant qu’artistes, acceptons de jouer même pour de mauvais salaires mais c’est quand même incroyable qu’un musicien puisse faire un gala avec 50 000 euros de matériel, alors qu’il n’en touchera que 50. Il y a peu de temps, j’ai fait une super date avec 20 000 euros de matos, je n’en ai gagné que 150. Sincèrement, dans quel autre business cela est-il envisageable ?

Une carrière qui explose, c’est comme le loto, c’est très souvent un énorme coup de chance. Même si la qualité joue énormément, il faut être, au bon endroit, au bon moment et avec les bonnes personnes.  Rory me disait souvent : « Mike je ne comprends comme ça se fait que tu ne sois pas une super star. » Son frère s’est même fâché avec RCA à l’époque, en leur disant : « mais sérieusement vous jouez à quoi avec Mike, quelle promo faites-vous ? » Tous les soirs en première partie on avait un rappel et Rory nous considérait comme des stars, il trouvait que je chantais et composais bien, et je travaillais avec Bruno Besse, un guitariste fantastique qui est toujours avec moi.

Vous rendez-vous à des concerts parfois ?

ML : J’adore les Eagles mais allez voir leur concert… il n’ajoutent rien à ce qu’il y a sur leur album. Les Stones, ou ACDC en revanche, ne joueront jamais la même chanson à l’identique et c’est cela l’art de la scène. En concert il faut qu’il se passe quelque chose, que l’expérience vécue diffère de celle de l’album.

Un petit souvenir de Pathé Marconi, du studio, qui a disparu ?

ML : J’ai fait un disque chez Pathé Marconi, en même temps que les Stones. Des mois durant, ils enregistrent en face de nous en mode « lock out », au studio 2. Je suis devenu ami avec Bill Wyman, le bassiste, qui m’ouvrait les studios. Il m’a montré le leur, avec toutes leurs guitares, leurs batteries, j’avais la langue qui tombait par terre. Jagger avait carrément 2 retours de scènes ! Ils ont enregistré Some girls ici.

Vous avez accompagné et joué même le solo de guitare sur Matrice, de Gérard Manset ?

Dans l’album Matrice de Gérard Manset, c’est moi qui joue, j’ai fait tous les gros morceaux de guitare, avec Patrice Marzin. En 1990, je pars à Los Angeles, chez mon auteur et guitariste. Je restais là-bas quelque temps afin de réaliser des maquettes pour l’album, et je reçois alors un télégramme de Gérard : « Mike merci, c’est grâce à toi et tes guitares je suis disque d’or ». De nombreux articles ont repris l’expression « grâce aux guitares de Mike… », et ça m’a rendu tellement heureux ! Gérard fait des disques comme s’il peignait, et il peint très bien. Il écrit aussi. Lorsque l’on préparait l’album, il me laissait faire tout ce que je voulais car je ne lisais pas trop la musique, uniquement les grilles. Lorsque je faisais des accords avec ma guitare, mal accordée, il se débrouillait pour ajouter la batterie et la boite à rythme. Ça c’est Gérard, j’ai fait beaucoup d’albums avec lui. Je ne supporte pas sa manière d’enregistrer, c’est de la « daube » mais je me permets de lui dire, on est copains.

 

ML : Et avec Johnny Halliday, que vous avez accompagné également, comment s’est faite la rencontre ?

Johnny Hallyday c’est une histoire complètement aberrante. Jo Leb, le chanteur des Variations est venu me voir le jour de mon anniversaire en me suggérant une boite de nuit, le Rose Bonbon, où plein d’artistes se produisent. On nous y fait entrer sans payer. Dehors, il y avait de nombreux camions RTL, Johnny fêtait la naissance de sa fille Laura. A ce moment, je monte sur scène pour jouer de la guitare. C’était mon anniversaire, j’avais envie de m’éclater, de me faire plaisir. A la fin de mon show, Pierre Billon est venu me dire que Johnny me voulait à sa table, où il me dit « Mike, il me faut un guitariste comme toi pour mon spectacle ». J’ai tout de suite accepté ! Est ensuite venu le jour des auditions, auxquelles je me suis rendu, bien qu’accepté d’office. Il y avait des bassistes et des guitaristes, sûrement meilleurs que moi en technique, mais en ce qui concerne le feeling… ils ne m’arrivaient pas à la cheville. En studio avec Johnny, on faisait du blues et il testait les autres guitaristes et bassistes. Arrive le moment où un Américain qui jouait avec moi dans Boolagoo, Jimmy Gibson, doit s’essayer. Il chante et un pianiste le suit, mais à un moment, il pousse le pianiste, qui se serait trompé. Johnny s’exclame directement : « c’est lui mon bassiste ! ». Il voulait un mec fou, donc on a travaillé avec lui pendant 2 ans, c’était sympa. L’année dernière on lui a rendu hommage à Ramatuelle, avec 42 musiciens qui ont travaillé avec lui, ça a tellement bien marché qu’on le refait cette année, le 14 septembre. »

Votre prochain projet ?

ML : Avec mon groupe Pirate Zone je vais faire un nouvel album cette année, mais je n’ai pas les moyens, donc je cherche une grosse boîte de production avec un studio. Pour faire un petit album, il faudrait 20 000 €.

 

La France, un bon endroit pour enregistrer ?

 

ML : Si je devais enregistrer demain je ne le ferais pas en France, je ne chante pas en français donc ils ne comprennent pas et n’ont pas la sensibilité de mes paroles. Lorsque je joue au golf, je vais sur un terrain de golf, pas à la piscine, pour un studio c’est pareil. Je vais là où je sais que ce sera publié puis écouté. Je ne dis pas qu’ils ne sont pas bons, mais la France n’a pas de groupes qui jouent comme moi. Ils sont très techniques et font de bons sons mais aujourd’hui, tout est basé sur le numérique. Il y a des morceaux magnifiques, mais ils manquent de vie.

 

Propos recueillis par Manuel Jacquinet.

 

 

Ce que dit de lui.. le discret Gérard Manset

Vous ne parlez pas souvent de vos musiciens ?

« Oui. Je suis souvent seul à tout faire, car je ne trouve personne. Pendant très longtemps, je me suis plaint des musiciens car je n’ai jamais obtenu d’eux ce que je voulais, je devais le jouer moi-même, avec toute la difficulté que cela induit. Lorsque je souhaitais les faire rejouer, j’avais tout de suite droit au sarcasme, à l’ironie. Pourtant, en vingt ans, j’ai croisé quelques collaborateurs, individus, copains, auxquels je dois beaucoup. C’est le cas de Mike Lester, qui joue la moitié des guitares sur Revivre ou Matrice. Mike est quelqu’un qui a l’esprit 100 % rock, il m’a fait découvrir deux choses : le karaté et Bob Seger. C’est un type en or, un peu plus jeune que moi et c’est lui qui m’a amené les guitares que j’attendais : une mélodie à la fois hard et humaine, sincère. Je crois que le hard-rock est une des plus grandes écoles musicales qui soient. Là encore, comme au poker ou dans les arts martiaux, il s’agit d’une école de vérité. De même qu’un coup de bluff ne fait pas trois tours à une table de poker, il ne peut y avoir d’esbroufe, de tricherie, de mystification dans le hard-rock. Les types arrivent, ils allument l’ampli et ça joue. C’est pourquoi je maintiens que Scorpions n’est pas un petit groupe. Au début, ils faisaient marrer tout le monde, mais non ! C’est une très grande musique Scorpions et il y a des auteurs derrière, il y a un pulse ! Ce n’est pas comme les disques de Michael Jackson, où l’on ne sait pas qui fait quoi, qui apporte quoi et combien cela a coûté. Et tant mieux s’ils font un carton ! Mike m’a fait découvrir tout ça en me faisant découvrir, il y a une bonne quinzaine d’années, Bob Seger avec Night moves. Bien sûr, il y avait eu des prémices : les Small Faces, par exemple, mais Mike a vraiment ouvert une porte en moi, et tout le reste a suivi. C’était le début de l’ère des auteurs-compositeurs purs et durs, et j’ai découvert que Bob Seger était le plus pur et le plus dur d’entre eux : voix rocaille, bonne instrumentation. Et puis tourner trois cents jours par an fait que lorsqu’il rentre en studio, ça sonne. Trois guitares sèches, une basse, une batterie et ça suffit. Voilà des musiciens respectables, bien que leur vie personnelle ne le soit pas toujours, quoique, je me demande si Bob Seger n’est pas un peu curé sur les bords. En tout cas, j’aurais bien voulu suivre une de ses tournées comme ça, pour voir, dans le camion. »

Gerard Manset

Source Les Inrocks 19 mai 91