Fabienne Lupo, fondatrice de Re-Luxury

Le luxe se répare, se revend, mais la confiance est lente à installer. Fabienne Lupo a créé à Genève le premier salon dédié à la seconde main dans cet univers (il s’est tenu en novembre 2022).

De la Fondation de la Haute Horlogerie où elle a fait rayonner l’industrie horlogère dans le monde, elle devient entrepreneuse et organisatrice du premier salon de seconde main de luxe – Re-Luxury – avec une profession de foi : le luxe se répare, se revend, et joue l’inclusion pour les générations futures.

Alors, devinette pour vous : comment créer le premier salon de luxe de seconde main en physique ?

Mon premier consiste à rassembler les acteurs du luxe, les plates-formes de revente, quelques marques qui jouent le vintage, dans un hôtel ouvert au grand public. Mon second est d’animer avec un village d’artisans qui réparent et d’ajouter un cycle de conférenciers pour débattre pendant 4 jours. Mon troisième est de se tenir pendant le temps des grandes ventes dans un hôtel et d’organiser cela à Genève ! Mon tout est un succès dès la première édition – 4000 visiteurs pendant 4 jours qui appelle déjà la seconde en novembre 2023.

Fabienne, quelle est votre ambition avec ce salon ?

Ce qui me passionne, c’est l’humain dans l’acte de commerce du luxe. La passion qui anime les artisans à donner naissance à un produit qui sera réparable à vie, et mon humble contribution à la mettre en lumière, les aider à continuer à vivre de leur magnifique métier. Rencontrer des personnalités hors du commun qui créent avec le génie de leurs mains. Créer des opportunités et des moments uniques en tant qu’entrepreneuse. Enfin fédérer une communauté, démarrer une nouvelle consommation, créer un bonheur social fait d’interaction…. Voilà ce qui est mon moteur et celui du salon.

Après cette première édition, quel est votre bilan (sans concession !)?

Pour donner une image d’abord, l’enjeu est le même que celui du e-commerce il y a 15 ans : lancer la seconde main en marché physique comme part entière du commerce demain. Cela demande beaucoup de travail et de changement de culture pour les marques qui ne sont pas prêtes, ni dans les organisations, ni culturellement sur le plan marketing. C’est aussi redonner le pouvoir au consommateur et mettre les marques en animateur de communautés. C’est un changement de paradigme et un nouveau business. Rolex et AP lancent leur Certified Pre Owned (revente de modèle vintage certifié par la marque elle-même). Ce sont surtout les plates-formes digitales de seconde main qui ont répondu. E-Bay qui est un acteur global se relance en Europe sur le luxe ainsi avec un élément d’expérience client simple : Rassurer le client et vendre du luxe certifié.

Quel est le ROI du salon pour les marques, pour vous ?

Pour les marques, la seconde main – Pre-Loved- est un nouveau business qu’elles doivent faire « fusionner» ou travailler avec la mise sur marché de produit neuf de première main, ce qu’elles ont toujours fait. De notre côté nous fonctionnons comme un organisateur de salon avec un système locatif… et puis tout ça se passe en suisse où les chiffres restent secrets ! 

Quelle est l’expérience client proposée au salon ?

Elles sont multiples. Trouver une pièce rare pour un collectionneur, faire réparer une paire de sneakers pour la GenZ, entendre l’histoire d’un produit pour beaucoup. Réparer sa paire de chaussures devient une joie. Enfin se promener en amoureux, en collectionneurs ou en tribu pour la GenZ pour flâner parmi les marques, les produits, les designs, les époques entre passionnés.

Je crois que j’ai offert à chacun des visiteurs une expérience mémorable qui interpelle sur le lien aux marques, aux choses, et à leur intimité ! Je crois que je crée une communauté. Nous avons travaillé notamment sur l’univers de la mode, des accessoires de mode, de la joaillerie et de l’horlogerie mais je compte aller plus loin pour la deuxième édition (interior design, immobilier, voitures de collection …) et je vous en réserve la surprise pour la prochaine édition.

L’expérience client et les algorithmes vous suggèrent-ils un commentaire ?

(Elle marque un temps d’arrêt à cette question et puis comme une colère.) Mais ça m’angoisse que l’on pense à ma place ce qui va me plaire. Beaucoup d’experts vous parlent d’expérience. En lien souvent avec l’hospitalité, et avec des moyens, c’est effectivement facile. Mon expérience la plus marquante est celle de partager avec des personnalités qui m’ont invitée chez elles: ils vous font découvrir leur intimité leur espace privé et là ça devient de l’expérience de vie personnelle. Je repense à Claude Nobs, le fondateur du Montreux Jazz festival qui nous avait invité chez lui avant d’aller dans la loge de concert. Ce week-end, je serai invitée à Méribel et Courchevel pour les championnats du monde de ski par un entrepreneur qui va recevoir ses clients chez lui dans son magnifique chalet : voilà de l’expérience vécue, vraie, authentique! Plus l’expérience est construite dans le partage, plus elle est forte.

La phrase, « le génie est l’enfance retrouvée à volonté » fait-elle écho à votre parcours ?

Mon parcours – plus que ma carrière – est d’abord un chemin de vie qui vous fait changer de pays, changer de métier, c’est donc avant tout une histoire de rencontres, et c’est cette « imprédictibilité » qui en fait le charme. 

Pour commenter cette phrase je dirais qu’il faut s’affranchir de tout formatage pour devenir ou redevenir soi-même. Enfant, je voulais être comédienne et j’allais au théâtre du Capitole à Toulouse voir des opérettes. J’ai toujours rêvé de chanter, danser, jouer la comédie de manière joyeuse.

Un bémol, des obstacles professionnels ?

Vouloir tout faire en même temps, et essayer de contenter tout le monde. Il y a globalement peu de femmes qui occupent des postes à responsabilités car nous sommes peu à penser qu’il est possible de faire cohabiter vie professionnelle et vie privée… Certes, c’est compliqué et parfois ça ne se fait pas sans casse, mais pourquoi devrait-on choisir ? Notre principal obstacle, c’est nous-même.

Une blessure qui vous raconte ?

Oui un cancer du sein. Peut-être un peu banal de dire que je suis repartie à zéro et que ça a changé ma vie … mais je crois en écoutant la question que j’ai voulu me réparer moi-même dans cet événement de ma vie et que cela a pris un écho aussi professionnel : réparer le luxe ! Dans ma maladie il y a d’abord eu une réparation physique puis mentale et finalement une réparation globale qui touche beaucoup de niveaux. Je crois faire ce même chemin professionnellement ; c’est notamment pour ça que j’ai inventé la « clinique » des artisans de la réparation et de la restauration sur le salon : c’est le cœur du salon.

Un message aux générations future ?

Oser les choses et vous affranchir du regard des autres pour défendre vos convictions les plus profondes…. Et que le commerce peut vous aider à lier les gens !

Fabienne Lupo façon
Questionnaire de Proust :

Un modèle ? aucun, être soi, et surtout y arriver… cela demande déjà beaucoup d’énergie et de concentration.

Une couleur ? le vert, tous les verts

Un objet ? Mon sac à main, il y a toute ma vie dedans.

Propos recueillis par Alexis et Dune de Prévoisin,
co-auteurs de « Retail Emotions, Retail In Motion«