Et alors Sébastien Marneur m’a nommé rédacteur en chef du magazine des francophones de Mongolie

Souvenirs de Sébastien Marneur, l’homme qui voulut être Khan chez Gengis le mongol.

Parti en Mongolie avec 200 euros en poche, au début des années 2000, Sébastien Marneur est le premier entrepreneur français à devenir millionnaire au pays des yourtes et des loups, au point de devenir conseiller au Commerce extérieur (il est fait chevalier de la Légion d’Honneur, à ce titre, en 2012), avant de tout dilapider pour faire la fête et lire des livres d’aventures.

Cap sur un pays libre.

Impossible d’oublier Sébastien Marneur (1966-2017) pour qui l’a rencontré. Cet ancien flic devenu libraire a créé une dizaine d’entreprises hétéroclites et variées (allant de l’épicerie à la sécurité), employant plus de 1500 salariés, mais il ne rêvait en fait que d’aventures et de liberté. Ancien petit voyou du côté de Dreux, aux limites de la Normandie, il s’apprête à aller au braquage lorsqu’une grand-mère aimante le convainc de rester dans le droit chemin. Il deviendra flic de terrain. Affecté à la circulation, en fait. Mais la hiérarchie, ce n’est pas trop son truc alors, après des années de bourlingue à travers le monde, il décide un beau jour de partir pour la Mongolie, tout juste libérée du joug soviétique : « La Mongolie, disait-il, est un des derniers pays véritablement libres avec des gens libres jusqu’à l’ivresse. Ici, je fais ce que je veux tant que cela ne nuit à personne. Je roule sur la route, sur la piste ou à côté si j’en ai envie. J’en assume les risques. S’il y a un pépin, il faut se démerder et alors, seulement, on peut savoir ce que l’on vaut vraiment. C’est la liberté que je suis venu chercher dans ce pays et je l’ai trouvée. »

Arrivé à Oulan-Bator (le « héros rouge), début 2000, il rencontre Naraa, qui lui offre et fera deux filles (Nomin et Oyu) ; Sébastien Marneur commence par importer du Camembert, pas tout à fait coulant, mais relativement frais, après être parvenu à convaincre des employés du célèbre Transsibérien de le faire voyager à l’extérieur des wagons. Il récupérait ces gourmandises à Irkoust pour les ramener vers Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie, située à 1200 mètres d’altitude, et où il peut faire jusqu’à – 40° l’hiver. Bien entendu, sur la piste du Camembert, il n’oubliait pas de courser les loups qu’il attrapait par la queue à main nue ! Des anecdotes comme celles-ci, mêlant le vrai au faux (il a vraiment ouvert une épicerie française en Mongolie), Marneur en avait à foison. Il y avait encore peu de voitures dans la capitale mongole à l’époque. C’était un marché en pleine expansion (17% de croissance). Aujourd’hui, comme partout, il y existe des embouteillages et les Hummer côtoient les dernières japonaises hybrides.

Camembert, extincteurs et gardes du corps.

Il a ensuite créé EurofeuAsia (1), société d’extincteurs. A la suite de quoi il se lance dans le business de la sécurité (2) à la personne : délégation de gardes du corps pour des personnalités, comme des stars de cinéma ou le directeur d’Areva, mais aussi destinée à protéger les nombreuses mines d’or et autres minerais précieux (terre rare) de Mongolie. Mais le bizness, en général, ne l’intéresse que par l’occasion qu’il vous donne de créer, d’entreprendre : l’argent n’est pas son moteur. Son truc à lui s’appelle la littérature. Et pas n’importe laquelle : celle d’aventures et de voyages. Il offre une librairie (francophone) à sa femme, Naraa, en guise de cadeau d’anniversaire de mariage. La librairie est baptisée Papillon en hommage à Balzac, et à ce peignoir qui s’ouvre comme un papillon dans Le Père Goriot. Mais comme il trouvait que ça faisait un peu « intello-chichiteux » (il détestait Proust), il préférait évoquer le nom que l’on donne à cette petite carte insérée au coin d’une grande, ou encore l’ouverture des pages d’un livre en son milieu, pour y voir l’envol moiré de l’insecte printanier…

Sébastien Marneur était un doux-dingue, un poète, sous ses faux airs de dur à cuir, du genre à partir plusieurs jours loin de chez lui, sans donner de nouvelles, pour aller écouter l’herbe qui pousse à la « débâcle ». Comprenez la fonte des neiges et le début du printemps. Un peu comme Arto Paasilina dans Le lièvre de Vatanen. Vous l’aurez compris, Sébastien Marneur ne suçait pas que de la glace. Il carburait à la vodka et ne comptait plus ses nuits d’ivresse, à la Blondin en hiver, en mode Very bad Trip.

Un magazine francophone en Mongolie.

C’est après l’une d’elles, qu’il m’a nommé rédacteur en chef « à vie » du magazine Papillonnages (3) des francophones des Mongolie (pas plus de 200 personnes). Pourquoi Papillonnages ? Parce que Papillon comme la librairie, mais également parce que : « Papillonnage : nm batifolage, va-et-vient, passade, amusement, amourette, tocade, aventure, béguin, affinité, bluette, badinage. ». Bref, le numéro 1 du magazine francophone de la Librairie Papillon est né un mois de mars 2013. Je faisais partie de l’aventure. Il n’était pas certain qu’il y aurait un numéro 2.

Voici le début de mon édito d’un travailleur du chapeau : « Sous la douche… Ce magazine a failli s’appeler « Sous la douche ». Pourquoi sous la douche ? « Et pourquoi pas ? », s’amusait à me répondre Sébastien Marneur, l’initiateur du projet, quand je suis arrivé à Oulan-Bator, à la mi-février de cette année 2013 : « Tu répondras que c’est parce que tu sortais de la douche, quand on a eu l’idée de ce journal », a conclu mon pote-boss, décédé quatre ans après (d’un arrêt cardiaque, en état d’ivresse). Je sortais effectivement de la douche, après une douzaine d’heures de vol effectué depuis Paris, lorsque mon nouveau « khan » (chef) m’a proposé de lancer le premier numéro de cette nouvelle « gazette de la Steppe », qui devrait devenir un trimestriel.

Pourquoi un magazine francophone en Mongolie ? Parce que ça lui plaisait, pardi ! Parce que sa librairie Papillon était francophone et que nous étions encerclés de journaux et magazines anglophones à Oulan-Bator. Marneur refaisait le coup du village d’Astérix, encerclé par les romains… Astérix en Mongolie, ça ferait un bel album ! Blague à part, cette librairie-papeterie ouverte au cœur d’Oulan-Bator, près de la cité universitaire et du palais du gouvernement, dans un mini quartier Français (deux restaurants) a aidé au développement de la francophonie, en partenariat avec l’Alliance Française et le consulat local. En 2011, il a contribué à organiser, sur ses propres deniers, les Journées culturelles franco-mongoles, toujours à Oulan-Bator. Sébastien Marneur ne s’est pas arrêté là. Il eut l’idée géniale de créer la « caravane du livre », première bibliothèque transportée à dos de chameau de Bactriane (à poil long). Il a fait traduire des conteurs mongols en Français, traduit Hergé (Tintin au Tibet) en Mongol, mais aussi Zola, Dumas, Saint-Exupéry, Daudet, Simenon… Tous les jours il avait une nouvelle idée. Avant de mourir, il envisageait de créer et de lancer dans un bizness en Corée du Nord !

Guillaume Chérel (* journaliste-écrivain)

* auteur de « Cadavre, Vautours et poulet au citron » (Michel Lafon, paru en poche chez J’ai Lu ) un polar d’aventures et de voyage inspiré de la vie aventureuse de Sébastien Marneur en Mongolie.

(1) : reprise ensuite par un Mongol.