Eléanore Klarwein, l’inoubliable Anne Weber dans Diabolo Menthe

Je rêvais de faire Hypokhâgne, de porter un tailleur marron, d’avoir des horaires de bureau…

Si vos pas vous amènent à Trouville et que, grâce aux bons avis qui le caractérisent, vous choisissez de résider à l’hôtel Les 2 Villas, un très bon choix a priori, peut-être serez-vous accueilli à la réception par Éléonore. Il y a quarante ans, la grande brune qui vous remettra les clés s’appelait Anne. A l’écran.

Anne Weber. « Je suis née dans un milieu d’artistes, mes deux parents étant peintre et dans ces cas-là, souvent, tout ce dont rêve un enfant, c’est de normalité. Moi, j’aurais voulu porter un tailleur marron, faire hypokhâgne et avoir ensuite une maison de famille, un travail et des horaires réguliers, travailler du lundi au vendredi. Mais ça ne s’est pas tout à fait passé comme prévu ». C’est peu de le dire : en 1977 sort en effet en salles le 1er film d’une réalisatrice inconnue et qui porte à l’écran ses émois d’adolescence au Lycée Jules Ferry. Le film connaitra plus que le succès : il devient culte. Le minois, le regard amusé et les dents si charmantes, un peu en avant d’Éléonore Klarwein -dont c’est aussi le premier film- s’installent pour longtemps dans la bande son et visuelle des années 80. Tout comme La Boum, quelques années plus tard. Diabolo Menthe de Diane Kurys lancera sa carrière de metteur en scène et fera prendre à la vie d’Éléonore un autre chemin que celui qu’elle avait escompté et qu’elle espérait balisé. Elle sera pour certains et pour toujours Anne Weber, son personnage dans le film, au point de recevoir encore des courriers et des messages sur sa page Facebook officielle, qu’elle a dû créer. « Il y a même, je le sais, des clients, souvent des Belges, qui viennent à l’hôtel parce qu’ils savent ou ont appris que j’y travaille, qu’ils ont apprécié le film et qu’une certaine nostalgie les envahit. Moi je n’en ai pas, de nostalgie, mais je dois reconnaître que ce film a bouleversé pas mal de choses dans mes plans. »

Mannequin chez Ford et à son compte

Éléonore enchainera très vite avec trois autres films, découvrira le monde de la nuit et, très tôt pour l’époque et son âge, la vie de maman. Elle embrassera ensuite, avoir pris 18 centimètres, une carrière de mannequin après qu’une femme descendue d’une Rolls Royce l’aura repérée et lui aura suggéré ce nouveau métier. Plus tard, elle sera même associée dans une agence de modèles, Studio KLRP. « Et voilà comment on se retrouve sur la côte normande, sourit la mère de famille nombreuse et dispersée, pas trop fortunée en fait et devant rester proche de Paris pour garder le contact avec mes 3 grandes filles. Paris-Deauville, c’est rapide et comme personne n’a le permis de conduire à part moi dans la famille, je devais être proche d’une gare. » A chacune de ces étapes, elle laisse derrière elle un pan de vie, un métier, un mari ou compagnon, sans amertume ou regret. Serait-ce une forme d’héritage familial, comme s’il était écrit que de père et de mère en fille, dans les milieux d’artistes, on ne soit pas effrayé par les détours ou les ruptures ; un héritage de l’insouciance des années 70 ?

Et si, tout simplement, comme Anne dans le film, elle avait décidé de tracer sa route, quoi qu’il arrive parce qu’on est déterminée et respectueuse de ses engagements ? N’a-t-elle pas refusé de jouer, débutante, dans un film avec Alain Delon, LA star tout simplement parce qu’elle s’était engagée auprès de Diane, ELLE illustre inconnue ?

« Dans la vie, on a des attentes, des expectations comme disent les anglo-saxons et puis arrive ce qui arrive, avec plus ou moins de chance et de bonnes rencontres. Professionnellement, ce que j’ai appris de toutes ces péripéties, c’est que les temps changent ; que vous pouvez être célèbre du jour au lendemain puis oubliée. En tant que modèle j’ai été choisie puis on m’a dit que j’étais trop grande, trop brune par exemple simplement parce que la mode était passée au style Hamilton (des nymphettes assez dénudées habillées en blanc dans des paysages brumeux). Ou que vous n’avez pas le bon agent ou le bon mentor.

Responsable réception, Deauville, 2013

« Quand je suis arrivée ici, personne ne me reconnaissait. J’avais besoin de travail, j’en ai trouvé, comme réceptionniste, à l’Amirauté, un établissement réputé dans les années 80, de 200 chambres. J’avais travaillé depuis 35 ans mais j’ai découvert en changeant d’horizon, à 50 ans, combien certains métiers peuvent être exigeants, fatigants et qui sont pourtant le quotidien de quantité de gens. Lorsque tu es caissière à Monoprix ou réceptionniste, tu es souvent mal payé, parfois humilié. A quinze ans, je désirais de la normalité, j’en connais désormais une autre version. Mais j’aime les gens, leur diversité et la psychologie qu’il convient de déployer pour prendre soin d’eux quand on travaille dans le tourisme ou l’hôtellerie : quand certains arrivent chargés de tension (les parisiens souvent, qui sont assez agressifs), je leur dis, comme une masseuse : détendez-vous. Il ne faut pas oublier que beaucoup viennent pour voir les plages du débarquement ou précisément pour se détendre. Ils ont simplement besoin qu’on leur indique… où manger une glace. Après ce début dans la « carrière » d’hôtelière, Éléonore prend du galon dans un autre établissement à Trouville, créé par un couple qui n’est pas du métier. La chef réceptionniste a l’opportunité de contribuer à l’organisation. Et, de temps à autre, le passé remonte à la surface : un fan l’a reconnu, peut-être même savait-il, en venant séjourner à l’hôtel, qu’y travaille l’ex Anne Weber. Ou bien encore, on la contacte, à l’occasion des 40 ans de la sortie du film, pour participer à sa ressortie en salles, sur les Champs-Élysées ou pour faire un documentaire qui viendrait agrémenter la sortie en DVD.

L’Hôtel de la plage

Le 31 août 2019, lorsque vous lirez peut-être ceci, Éléonore fêtera ses 56 ans. Peut-être recevra-t-elle un appel, ou plusieurs, de l’une de ses filles, d’un ex-mari ou compagnon. Avec lesquels « elle s’entend bien, c’est important ». L’un est éditeur de magazines, un autre marchand de tableau, à Chicago. Elle sourit en se rappelant « Gérard et moi nous sommes rencontrés à l’Élysée Matignon, une des boites où je sortais à l’époque. Il avait la tchatche, une mèche brushinguée et voulait faire carrière dans la chanson. On n’a pas fait de disque mais une fille formidable. » Anne Weber a donc désormais la vie bien rangée qu’elle escomptait, les soucis d’une maman dont la dernière fille passe son bac et un peu de temps pour profiter de la plage ; un compte sur Linkedin…

« J’en profite par exemple pour me promener avec mon chien au bord de la mer. Pour quantité de personnes, réussir sa vie, c’est être célèbre. Moi, je ne crois pas que si l’on est personne, on n’est rien. Ou que la fréquentation des gens célèbres change tout. Lorsque j’allais voir mon père*, plus jeune, durant les vacances, il m’est arrivé de partager le repas avec Sting ou Annie Lennox et on pouvait parler de Jimi Hendrix que mon père avait connu et fréquenté. J’ai été en haut de l’affiche, désormais, je suis une… grand-mère de compétition ! »

A l’hôtel de la plage, parfois, la dame qui vous répond et accueille n’a pas que les clés à vous confier.

*Mati Klarwein, décédé en 2002 a été un peintre et illustrateur célèbre, notamment pour ses peintures d’inspiration surréaliste ou psychédélique ou les nombreuses pochettes d’albums.